Extrait du Washington Post du 3 août 2017
Auteur : Michael E. Ruane
Information fournie par Guy Peremans (?)
Traduction / illustration : Roger Marquet
(Photo NARA)
Le vieux char de bataille est arrivé le 3 août 2017 à 10 h15, recouvert d’une bâche noire et attaché sur la remorque d’un tracteur.
Le [bruit du] chantier de construction près de Fort Belvoir s’est calmé pendant un moment lorsque le camion a reculé. Et quand ils ont retiré la bâche, la coque d’acier portait encore les cicatrices des tirs ennemis de 1944 et 1945. C’était le «Cobra King», un sanctuaire de 38 tonnes, une légende de l’U.S. Army, pendant la Seconde Guerre mondiale et la Bataille des Ardennes qui a foncé à travers les lignes allemandes pour soulager les défenseurs assiégés de Bastogne, en Belgique.
Quelqu’un avait pris une photo du char juste après ce combat [NDT: voir photo en sous-titre] arrêté dans la neige avec son équipage et les mots «First in Bastogne – [Premier à Bastogne]» griffonnés sur son flanc à la craie.
La craie était effacée depuis longtemps quand, ce jeudi, une puissante grue a soulevé le Cobra King, avec ses bandes de roulement noires et son étoile de tourelle blanche, à partir de la remorque plate et l’a déposé à l’intérieur du Musée National de l’Armée des États-Unis [National Museum of the United States Army].
Arrivée du Cobra King au Fort Belvoir, Virginie, USA – (Photo NMUSA)
Un chef-d’œuvre de l’art militaire attend son nouveau musée. Celui-ci, à une trentaine de kilomètres au sud de Washington DC, est en construction depuis octobre dernier et devrait être ouvert à la fin de 2019, ont indiqué les responsables.
Il abrite des dizaines d’objets et d’œuvres d’art historiques de l’armée. Le char Sherman et plusieurs autres articles «macro» sont si grands qu’ils doivent être installés en place et que le musée devra se construire autour d’eux.
Lundi dernier, les équipes de travail ont mis en place un véhicule Bradley Cavalry Fighting de 27 tonnes qui a mené une charge du Koweït à Bagdad en 2003. Plus tard, le musée installera une barge de débarquement Higgins [Landing Craft Vehicule & Personnel (LCVP)] de la Seconde Guerre mondiale et un char français de la Première Guerre mondiale, le Five of Hearts [Cinq de Cœur]. Le modèle qui doit être le seul tank survivant parmi ceux utilisés par les soldats américains dans la Première Guerre mondiale.
BRADLEY C.F. | LCVP | SAINT-CHAMOND |
Le 26 décembre 1944, le lieutenant Charles Boggess commandait le ‘Cobra King’ et menait, avec la Troisième Armée du Général Patton, l’assaut pour la libération de Bastogne. Les forces américaines y avaient été encerclées par la célèbre offensive allemande qui avait créé le grand saillant [bulge] dans les lignes alliées.
Le char de Boggess était un «Sherman Jumbo» expérimental, un Sherman mieux armé et plus blindé que les modèles précédents qui s’étaient révélés vulnérables vis-à-vis des chars allemands plus puissants. Le ‘Cobra King’ possédait un moteur à essence V-8 de 500 CV, un canon de 75 mm et deux mitrailleuses.
Patton était proche de Bastogne et Boggess reçut l’ordre de prendre le ‘Cobra King’ et d’autres chars et d’enfoncer les lignes ennemies. « Je crois qu’il devrait être donné à chaque homme un moment de gloire dans sa vie », a déclaré Boggess au Chicago Tribune lors d’une visite à Bastogne en 1984. «Le mien a duré 6 km et 25 minutes».
« Le ‘Cobra King’ avait déjà connu le combat. Il avait été mis ‘knock-out’ en France en novembre 1944, réparé et renvoyé à la bataille », a déclaré Patrick R. Jennings, historien du musée de l’Armée.
L’entrée du futur National Museum of the United States Army – (Photo NMUSA)
Le commandant qui avait précédé Boggess à la tête du ‘Cobra King’, Charles Trover, avait été tué au Luxembourg par un tireur d’élite alors qu’il se tenait dans la tourelle ouverte, le 23 décembre. Et maintenant, le char avait l’ordre de se diriger vers Bastogne. « C’était une journée dramatique » a rappelé Boggess. « C’était un jour où tu ne savais pas si tu serais toujours vivant, le soir « .
Boggess et son équipage, le pilote Hubert S. Smith, le copilote Harold Hafner, le canonnier Milton Dickerman et le pourvoyeur James G. Murphy – ont poussé le « Cobra King » à toute vitesse, balayant la route de toutes leurs armes, jusqu’à ce qu’ils franchissent les lignes allemandes.
Jennings, l’historien, a déclaré que l’équipage du char avait repéré des soldats assez loin qui, vu par les binoculaires, ressemblaient à des Américains. Mais les tankistes étaient méfiants car on leur avait signalé des troupes allemandes infiltrées, habillées comme des Américains. Finalement, un soldat américain s’avança, serra la main à Boggess et dit: «Content de vous voir! »
Le Lieutenant Charles P. Boggess, Jr. (Company C/37th Tank Battalion/4th Armored Division/3rd Army)
en 1984 à Assenois lors d’une reconstitution de sa percée du 26 décembre 1944 – (Photo anonyme)
Mais la guerre du ‘Cobra King’ n’était pas terminée. Il a continué la poussée en Allemagne, jusqu’à ce qu’il soit mis hors service le 27 mars 1945 lors d’un raid – condamné à l’avance – organisé pour tenter de sauver les prisonniers de guerre alliés d’un camp de prisonniers. [NDT. Il s’agit du raid sur Hammelburg, voulu par Patton, pour sauver son beau-frère ; raid dont l’histoire a déjà été contée dans le n°141/2016/1 de l’INFO CRIBA, revue du CRIBA]. « La mission fut un fiasco et le tank a été frappé par un obus qui a pénétré son blindage. L’équipage, différent de celui de Bastogne, réussit à s’échapper. Plus tard les Allemands ont mis le feu à l’intérieur et le tank fut abandonné » a déclaré Jennings, ce jeudi, alors qu’il attendait [l’arrivée du char], avec d’autres VIP, revêtus de casques blancs et de gilets jaunes.
« Jusqu’à ce moment-là, c’était juste un tank comme les autres », a-t-il ajouté, » mais celui-ci avait eu son moment dans l’Histoire et ce moment était écrit à la craie sur son côté gauche. Mais je suis sûr que dans les deux semaines, la pluie et la neige avaient lavé toute cette craie. Et il est redevenu un tank comme un autre. Réparé et envoyé à nouveau au combat ! Ensuite, il fut impliqué dans ce raid invraisemblable dans lequel il est de nouveau endommagé. Et son équipage a fait ce que n’importe quel soldat doté de bon sens ferait. On ne peut pas le réparer soi-même, donc on l’abandonne. L’Amérique nous procurera un autre char pour continuer à avancer. Ce n’est que plus tard, au fur et à mesure que l’Histoire commença à s’occuper de toutes ces épaves et notamment de ce char qu’il est devenu précieux pour nous. Jusque-là, ce n’était qu’une pièce d’équipement parmi d’autres » a ajouté Jennings.
« Après la guerre, le « Cobra King » a été récupéré du champ de bataille et a été exposé en plein air, comme une sentinelle, dans plusieurs bases américaines en Allemagne. Au fil des années, les historiens et les officiers ont commencé à enquêter sur l’histoire des différents chars américains qui étaient exposés en Europe « dit encore Jennings.
Et d’ajouter: «un chapelain de l’armée, Keith Goode, a été pris d’un intérêt particulier pour ce char. Sa recherche l’a amené à soupçonner que ce tank anonyme, exposé à tous vents, le plus récemment à Vilseck, en Allemagne, pourrait bien être le célèbre « Cobra King ». Il s’est avéré qu’il avait vu juste. Le tank a été expédié aux États-Unis en 2009. L’extérieur a été restauré. (L’intérieur était trop endommagé que pour être restauré) et il a été transporté par camion depuis son lieu de dépôt jusqu’à Fort Benning, Georgie « .
À 10 h 17 h, ce jeudi, Allen Pinckney, directeur adjoint du musée a annoncé à tous ceux qui étaient rassemblés sur le chantier [du musée en construction]: «le char Sherman est là».
Un bulldozer du chantier, dont le bruit suggérait le son d’un tank, s’arrêta dans son travail.
Jennings passa en revue l’extérieur impeccable, puis se glissa en dessous et se releva à l’intérieur [par la trappe d’évacuation probablement]. À l’intérieur, c’était toujours «un gâchis», a-t-il dit.
Mais le ‘Cobra King’ qui fut une fois taché de sang et marqué pour toujours par la bataille, était de retour sur le piédestal de l’Histoire.
Septante-deux ans après avoir foncé dans la neige jusqu’à Bastogne, il était là, au soleil d’un beau matin d’été alors qu’un musée se construisait autour de lui.
« C’est un véhicule qui a l’air robuste » conclut Jeannings « mais c’est un survivant ».
Fort Belvoir est une installation de l’armée des États-Unis) dans le comté de Fairfax, en Virginie, aux États-Unis. À l’origine,
c’était la plantation de Belvoir, siège de la célèbre famille Fairfax d’après laquelle le comté de Fairfax a été nommé.
Aujourd’hui, Fort Belvoir abrite un certain nombre d’importantes organisations militaires américaines.
Avec près de deux fois plus de travailleurs que le Pentagone, Belvoir est le plus grand employeur du comté de Fairfax.
Fort Belvoir comprend en fait trois propriétés géographiquement distinctes:
la base principale, l’aérodrome de l’armée à Davison et la zone du Fort Belvoir North avec son hôpital (photo ci-dessus)
(PhotoFort Belvoir, Virginia)