par Roger MARQUET
Après avoir subi la guerre, Henri M., ancien CRAB (Exode en Haute-Garonne, France – Centre de Rassemblement de l’Armée Belge), ancien STO (Service du Travail Obligatoire) à Magdebourg, Allemagne, ancien membre de l’AS (Armée Secrète) et après avoir échappé par miracle à l’attaque du refuge de Forêt et au massacre de plus de 60 hommes parmi les maquisards, après avoir subi la chute d’un V-1 sur la maison de sa fiancée, tuant ses futurs belle-mère, beau-frère, neveu, grand-oncle, se retrouve au service militaire en 1945.
Après son instruction, il est affecté au 35ème Bataillon de Fusiliers, tout nouvellement créé, qui va être désigné pour servir comme gardiens des prisonniers allemands du Camp d’Erbisoeul. Beaucoup de ces prisonniers avaient été capturés ou s’étaient rendus pendant la Bataille des Ardennes.
L’origine de ces bataillons de fusiliers se trouve en Grande-Bretagne. Le gouvernement belge en exil, qui ne peut alors fournir aux alliés qu’une force « d’appoint » se rend compte que si le territoire national se trouvait libéré avant la fin des hostilités sans que sa population masculine en âge de porter les armes ne soit déportée en Allemagne, il serait possible de reconstituer un appareil militaire important. Dans une logique militaire, mais aussi politique le gouvernement Pierlot décide de lever des troupes une fois la Belgique libérée. En effet, il est clair que dans les tractations qui suivront la fin des hostilités, chaque nation devra faire valoir ses titres pour pouvoir obtenir une partie des fruits de la victoire.
C’est ainsi que le 25 mai 1944, une convention est signée avec le SHAEF concernant la formation de bataillons de fusiliers. Compte tenu de la rapidité de l’avance alliée et des délais d’instruction, les Alliés proposent à la Belgique de former douze bataillons de fusiliers et quatre bataillons de pionniers, 16.000 hommes en tout. Le but est que ces hommes soient utiles avant la fin des hostilités en gardant les voies de communication alliées. La libération rapide de la Belgique favorise la création de ces bataillons. Les espérances en matière d’effectifs sont également dépassées, car de septembre 1944 à mai 1945, ce sont 53.000 hommes qui se portent volontaires pour ces bataillons. La plupart sont, des anciens soldats ou des personnes ayant rejoint le maquis.
Le 1er Bataillon de fusiliers est engagé en Hollande avec les Canadiens, les 2e et 3e sont confinés aux arrières britanniques, alors que les 4e, 5e et 6e bataillons de fusiliers sont aux ordres du 12e Army Group américain et participent, de près ou de loin aux opérations en Ardenne lors de l’Offensive de l’hiver 1944. Les autres sont encore en formation. Début 1945, le nombre de bataillons de fusiliers mis à disposition de 21e Army Group britannique et du 12e Army Group américain va passer de six à dix-sept (1, 2, 3, 7, 8, 9, 13 et 14 pour les Britanniques, et 4, 5, 6, 10, 11, 12, 15, 16 et 17 pour les Américains). La plupart de ces unités participeront aux opérations en Allemagne ou en Hollande, à l’exception des 7e, 8e, 9e et 14e bataillons qui ne quittent pas la Belgique.
Champion L., Chronique des 53.000, Bruxelles, Pierre de Meyere, 1973, p. 15-59.
Fondé en mai 1945 par les Américains, sur plus de cent hectares de terrain loués au prince de Croÿ, le camp d’Erbisoeul allait s’avérer comme étant le plus grand de Belgique. Conçu pour recevoir 30.000 hommes, avec les va-et-vient, les libérations anticipées, les mutations de détenus entrants, les prisonniers qui partent pour être logés près de leur lieu de travail – en général, ils travaillent comme mineurs – le camp aura compté jusqu’à 54.000 prisonniers lors de sa fermeture en 1948. Bref, Erbisoeul deviendra un camp de triage et de transit, en plus d’un camp de détention.
(Si tout va bien, vous retrouverez, en librairie, dans quelques mois (j’écris ceci en juillet 2020), l’histoire complète de Henri M. dans un livre qui sera vraisemblablement intitulé ‘’Les Tribulations du P’tit Henri en Guerre’’).
Un soir d’été (cela devait être en août 1945), Henri était de garde avec un G.I. américain. Ils montaient toujours de garde en binôme binational (un Belge et un Américain) ; ce qui posait parfois des problèmes quand aucun des deux ne parlait la langue de l’autre. Ce qui était le cas pour Henri ! Et pour son collègue de ce soir-là ! Tout ce qu’Henri savait, c’est qu’il se prénommait Larry.
Il était aux environs d’une heure du matin, il faisait nuit noire quand, soudain, ils entendirent des bruits de barbelés que l’on malmène. Il n’y avait aucun doute : quelqu’un escaladait la clôture.
Henri se préparait mentalement à faire les trois sommations d’usage telles qu’on les lui avait apprises phonétiquement. Il se les remémorait à toute vitesse quand Larry tira une longue rafale avec la mitrailleuse qu’ils avaient à disposition dans le mirador.
D’un coup, sans réfléchir et surtout sans sommations ! Henri était abasourdi.
Bien sûr, on alluma immédiatement les projecteurs pour découvrir, accroché dans les barbelés, le corps pantelant d’un soldat allemand visiblement mort. L’enquête déterminera qu’il s’agissait d’un certain Horst Gerth, né le 20.03.1922 et mort en ce 18.09.1945.
Henri avait beau détester les Allemands qui lui en avaient tant fait voir pendant la guerre, il trouvait détestable cette façon qu’avaient beaucoup d’Américains de considérer la guerre comme un grand jeu dont on pouvait transgresser les règles de temps à autres.
L’enquête, vite bâclée par les Services américains – on ne prit pas la peine de faire traduire les déclarations d’Henri – conclura qu’il s’agissait d’une tentative d’évasion qui avait été arrêtée de manière tout à fait régulière.
On se demande pourquoi ce jeune soldat avait tenté de s’évader alors que la guerre étant terminée depuis plus de quatre mois, il pouvait espérer une libération assez rapide.
Sur toute la durée d’existence du camp d’Erbisoeul, ce fut la seule tentative d’évasion. Lui seul le savait !
Le camp sous tentes d’Erbisoeul avec, à l’avant-plan à gauche, un mirador qui, comme le reste du camp, est toujours en construction. Les conditions de vie des prisonniers étaient pour le moins, précaires. C’est sur un de ces miradors qu’Henri M. montait la garde. (Photo unit02.underside.)
Vue de l’intérieur du camp (sous tentes) – ©photothèque CICR (DR)
Dès que les baraquements furent construits, les conditions de vie des prisonniers se sont grandement améliorées – (Photo Belgium WWII)
Références :
- Muller Pierre et Descamps Didier, Les Barbelés de la Vengeance – Prisonniers de guerre allemands en Belgique (1945-1948), Neufchâteau, Ed.Weyrich, 2019.
- Connaissances personnelles
- Récits de Henri M., milicien au 35ème Bataillon de Fusiliers