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LE BOMBARDEMENT ALLEMAND SUR MALMEDY PAR UN CANON SUR RAIL
LE 16 DECEMBRE 1944
par Roger MARQUET

Lors de l’offensive allemande du 16 décembre 1944, une formidable préparation d’artillerie assomma les G.I.’s dans leurs foxholes. Cependant, cette préparation ne se limita pas aux premières lignes; bientôt elle atteignit des agglomérations situées plus loin à l’arrière: Roetgen, Eupen, Verviers (4 civils y seront tués), Saint-Vith, Clervaux, Consthum, Beaufort, Diekirch et Malmedy.

C’est Malmedy qui sera la ville la plus touchée avec 16 civils tués, une cinquantaine de blessés et un nombre inconnu de victimes américaines.

Dès 5.30 heures, le 16/12, deux obus de gros calibre s’abattent au lieu-dit « Grands Prés ». Puis, plus rien pendant deux heures !

A partir de 7.30 heures, le tir reprend avec violence. Des obus, toujours de gros calibre, écrasent la passerelle des Tanneries Lang, pulvérisent le trottoir devant l’Hôtel de Spa, causant la mort des premières victimes. Une certaine panique s’empare des habitants qui courent à gauche et à droite dans l’espoir de trouver un abri. En vain, car les obus tombent un peu partout; notamment « En Chemin Rue » où deux soldats américains sont tués, avec quelques Malmédiens. La Rue du Commerce est touchée, la Ruelle des Capucins également. Des victimes sont dénombrées « Au Pouhon », Place du Commerce,… Et ce sont toujours des obus de gros calibre; du 280 ou même du 340 mm ! Il s’agit donc d’artillerie à longue portée.

Mais, quelle est l’origine de ces tirs ?

D’après Hubert LABY, dans son excellent ouvrage: « Stavelot – 18/12/44 », le bombardement de Malmedy est dû à un canon à longue portée monté sur rail. C’est très vraisemblablement la vérité.

En tout cas, aussi brusquement qu’il avait débuté à la fin de la nuit précédente, le bombardement s’arrête à la fin de la journée du 16. Et il ne reprendra plus !

Pourquoi ?

La raison de cet arrêt du bombardement allemand de Malmédy peut s’expliquer de plusieurs manières, dont celles-ci:

– soit la dotation en munitions était épuisée. Nous savons, en effet, que les munitions allemandes avaient été sévèrement rationnées.

– soit l’avance du Kampfgruppe Peiper vers Malmedy rendait ce bombardement inutile, voire dangereux pour les troupes allemandes.

Ces explications sont plausibles, mais il en existe peut-être d’autres … dont celle-ci (pensions-nous !) :

Dans une correspondance datée du 15 novembre 1990, Ralph HILL, historien de Pennsylvanie, cite des extraits d’une lettre de Curtis R.WHITEWAY qui servait au 394ème Régiment de la 99ème Division d’Infanterie, dans le secteur de Hollerath, au nord-est d’Elsenborn.

Curtis WHITEWAY a vécu une Bataille des Ardennes très éprouvante. Il fut nommé sergent au feu. Il a déjà donné son témoignage dans le livre de Luc RIVET et Yvan SEVENANS: « Des Civils dans la Guerre ».

Cependant, dans ce livre, Curtis ne parle pas d’une patrouille assez exceptionnelle qu’il eût à mener dans les lignes ennemies.

Voyons ce qu’il en dit, dans sa lettre :

 » Nous nous trouvions dans un champ, à découvert. De temps à autres, les Jerries expédiaient un obus… même sur des hommes isolés qui se déplaçaient d’un trou à l’autre. Il y eut aussi plusieurs tirs de barrage dirigés contre nous. C’était l’horreur !  

A Elsenborn, nous envoyions constamment des patrouilles dans les lignes ennemies.

Les Allemands avaient amené un canon sur rail qui tirait sur des cibles préalablement repérées et puis disparaissait. Plusieurs patrouilles avaient déjà été envoyées pour tenter de le repérer; les petits avions L.5 de l’artillerie de campagne le recherchaient constamment; tout cela, sans aucun résultat !

Une nuit, le commandant de la Compagnie G, le capitaine HAYMAKER, m’envoya en patrouille de pénétration profonde. Je n’emmenai que 8 hommes. J’avais un contact par radio, sous le surnom de « Whitie », avec un artilleur appelé « Red ».

Nous étions déjà bien avancés à l’intérieur des lignes allemandes lorsque nous fûmes découverts. J’appelai aussitôt l’artillerie pour obtenir un tir de soutien sur ma gauche et nous nous ruâmes sur le flanc d’une colline où nous nous enfouîmes dans la neige. Je demandai un barrage d’artillerie devant moi et, bientôt, celui-ci couvrit tout le secteur.

C’est alors que je le vis !

Là-bas, juste au pied de la colline, se trouvait un formidable canon monté sur chemin de fer.

Ce n’était pas étonnant que personne ne l’ait encore repéré. Il était posé sur un petit bout de voie indépendante. Les Allemands disposaient d’un jeu de rails de réserve et d’une foule de servants qui préparaient le terrain, puis déplaçaient les rails de l’arrière du canon vers l’avant, à chaque fois qu’un mouvement était nécessaire. De plus, ils camouflaient les traces avec des branches de sapin. Une idée brillante !

J’appelai à nouveau l’artillerie et demandai un tir sur la position du canon que j’estimai au plus près. Après le premier tir, je donnai les corrections nécessaires et demandai alors un tir effectif.

Il tomba pile sur le canon et ses servants.

Nous avons fichu le camp de là sans attendre et nous avons réintégré nos lignes à l’aube.

Plus aucun tir ne nous parvint de ce canon sur rail. Notre 2ème Bataillon pourrait dormir en paix, cette nuit ! »

Ne serait-ce pas là la réponse à nos questions sur l’arrêt des tirs sur Malmédy ?

Le manque de précisions de ce témoignage (date, lieu précis,…) ne nous permettait pas d’affirmer que le canon qui bombardait Malmedy était le même que celui découvert par WHITEWAY.

Nous avons donc pris contact avec Curtis WHITEWAY pour lui demander de nous fournir les éléments manquant à son témoignage.

Sa réponse est malheureusement claire à ce sujet. Ce n’est pas lui qui a détruit le canon qui bombardait Malmedy; en tout cas, pas le 16 décembre !

 » Non ! », écrit Curtis,  » je ne crois pas que la patrouille dont j’ai parlé ait un rapport avec l’arrêt des bombardements sur Malmedy.

Mais je crois que c’était le même canon !

Ils [les Allemands] ne pouvaient pas avoir plus d’un énorme canon sur rail dans ce secteur ! En tout cas, c’est peu vraisemblable !

Le 16 décembre, ce canon devait évidemment se trouver derrière les lignes.

Moi, à ce moment, je me trouvais avec mon bataillon – le 2nd Bn/394th Reg. – dans les bois au nord de la route Krinkelt – Hollerath. Le 17, nous avons été encerclés et seuls quelques-uns d’entre-nous réussirent à s’échapper pour finalement atteindre Krinkelt, le 19 décembre. Ce qui resta du bataillon arriva à un carrefour, tourna sur la route de Krinkelt et se perdit derrière les lignes ennemies pendant plusieurs jours. Alors que je marchais en éclaireur, devant ma Compagnie E et que nous arrivions au carrefour, un barrage d’artillerie avec des obus de 155 mm nous tomba dessus avec une violence inouïe. Nous fûmes pratiquement exterminés. Il ne resta plus qu’une vingtaine d’hommes, dont deux officiers.

Plus tard, nous avons fini par rejoindre Elsenborn, nous avons été rassemblés et placés en réserve, dans les champs, devant l’agglomération. Les Compagnies F et G se trouvant en ligne devant nous, c’est donc tout naturellement à la Compagnie E que l’on confiait les patrouilles.

C’est peut-être deux semaines plus tard (NDLR – donc au début janvier 1945) que je menai cette fameuse patrouille où je découvris le canon sur rail, au fond d’une vallée.

Comme je l’ai raconté, je dirigeai un tir d’artillerie sur l’objectif, mais, comme nous avons déguerpi immédiatement après, je ne suis pas sûr que le canon ait été irrémédiablement détruit. Je sais, pour l’avoir observé avant de décamper, que le tir d’artillerie est tombé droit dessus. Et notre secteur n’a plus eu à subir ses tirs ! ».

Cette lettre de Curtis WHITEWAY réduit donc à néant l’hypothèse selon laquelle l’arrêt brusque du bombardement de Malmedy pouvait lui être attribué.
Dommage ! C’eût été une belle histoire !

Il faut donc bien en revenir aux deux raisons possibles évoquées ci-avant: l’épuisement de la dotation en munitions ou la dangerosité de ces tirs pour les Allemands eux-mêmes.

A moins qu’un lecteur avisé n’ait une connaissance plus approfondie du sujet et ne puisse donner une explication plus satisfaisante ? Nous serions très heureux de la connaître.

Il reste que les Malmédiens ne doivent pas attacher beaucoup d’importance aux raisons qui pourraient avoir motivé l’arrêt d’un bombardement qui, si dommageable fût-il, n’était rien en regard de ce qu’ils allaient connaître quelques jours plus tard.

Chacun connaît en effet le triple bombardement aérien, commis par erreur, par les Alliés, sur Malmedy, les 23, 24 et 25 décembre 1944. Il fut dix fois, vingt fois plus meurtrier que les tirs allemands du 16 et autant de mystères pèsent encore sur cette tragique méprise.

Mais ceci est une autre histoire …

SOURCES :

  • Lettre de Curtis R. WHITEWAY (394th Reg./99th Inf. Div.) au Colonel Charles Baggio d’Arlington, Virginie – 1990.
  • Lettre de Curtis R. WHITEWAY, de Plainfield, Vermont, à Roger Marquet, de Trooz, Belgique – 8 janvier 1997.
  • Ardennes 1944 – Pearl Harbour en Europe – Première partie – Lucien CAILLOUX – Réédition du CRIBA, 1995.
  • Stavelot – 18 décembre 1944 – Hubert LABY, chez l’auteur, 17 Les Waleffes 4317 Faimes – 1994.
  • La Bataille des Ardennes-Les Civils dans la Guerre – Luc RIVET et Yvan SEVENANS – Ed. Didier Hatier-RTBF Charleroi-Namur – Bruxelles, 1985.
  • Ardennes Album Memorial – Jean-Paul PALLUD – Heimdal – 1986

Canon sur rail de 280 – type K5 – Kriegsmarine – ( Photo Kriegsmarine).