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Un ‘’Sherman’’ dénommé ‘’cobra king’’
Un héros meurtri de la Seconde Guerre mondiale à Bastogne obtient une nouvelle maison, et un musée construit autour de lui
par Michael E. Ruane
le 3 août 2017
Adaptation française/Complément d’Information : Roger Marquet

L’équipage du « Cobra King » –
à partir de la gauche, Pvt. Harold Hafner, Pvt. Hubert S. Smith, 1er Lieutenant Charles Boggess, Cpl. Milton Dickerman et Pvt. James G. Murphy –
pose pour une photo de propagande près de Bastogne. (Photo US Army)

L’ancien char de combat est arrivé à 10h15 jeudi matin, le 3 août 2017, recouvert d’une bâche noire et enchaîné au plateau d’un camion semi-remorque.
Le chantier de construction près de Fort Belvoir est resté silencieux pendant un moment alors que le camion reculait. Et quand ils ont retiré la bâche qui couvrait le char, celui-ci portait encore les éraflures et les traces de coups des tirs ennemis, reçus en 1944 et 1945.

Fort Belvoir, Virginia –( Ph.US Army)

C’était bien le « Cobra King », une légende sacrée de l’armée américaine de 38 tonnes qui pendant la Bataille des Ardennes a traversé les lignes allemandes et a été le premier à soulager les défenseurs assiégés de Bastogne.

Quelqu’un avait pris une photo du char juste après la bataille, arrêté dans la neige avec son équipage, les mots « First in Bastogne » gribouillés sur l’armure à la craie.
La craie avait disparu depuis longtemps, pouvait-on constater alors qu’une robuste grue soulevait le mastodonte, avec ses chenilles noires et son étoile blanche sur la tourelle, depuis le plateau du semi-remorque et l’installait sur le site du Musée national de l’armée américaine.

L’arrivée du Cobra King à Fort Belvoir – (Photo J. Lawler Duggan pour le Washington Post

Le 26 décembre 1944, le lieutenant Charles Boggess commandait le Cobra King et constituait la pointe de la Troisième Armée du général George Patton qui volait au secours de Bastogne. Là où les forces américaines avaient été encerclées par la fameuse offensive allemande qui a créé le grand renflement des lignes alliées et qui porte désormais devant l’histoire le nom de Battle of the Bulge (La Bataille du Saillant ou Bataille des Ardennes).

Le tank de Boggess était un Sherman expérimental «Jumbo», mieux armé et plus puissamment blindé que les Sherman précédents, qui s’étaient révélés vulnérables aux chars allemands plus puissants. Le Cobra King avait un moteur essence V-8 de 500 cv, un canon principal de 75 mm et deux mitrailleuses.
Patton était proche de Bastogne, et Boggess reçut l’ordre de prendre le Cobra King et quelques autres chars et half-tracks et de forcer le périmètre à travers les lignes ennemies.

US ARMY NATIONAL MUSEUM FORT BELVOIR- (Plan US Army)

« Je crois qu’il serait bon pour chaque homme d’avoir quelques minutes de gloire dans sa vie », a déclaré Boggess au Chicago Tribune lors d’une visite à Bastogne en 1984. « Mon moment de gloire a duré 7 kilomètres et 25 minutes. » (NB : Boggess faisait allusion à la reconstitution de son entrée dans Bastogne, organisée lors de son retour en Belgique, en 1984).
Le commandant qui a précédé Boggess, au commandement du Cobra King, Charles Trover, avait été tué au Luxembourg par un tireur d’élite alors qu’il se trouvait dans la tourelle, le 23 décembre. Et maintenant, le Cobra King avait reçu l’ordre de se précipiter à Bastogne, à la tête d’une petite Task Force. « Ce fut une journée dramatique », avait raconté Boggess. « C’était un de ces jours où tu ne savais pas si tu verrais le coucher du soleil. »

Boggess et son pilote, Hubert S. Smith, son copilote Harold Hafner, le tireur Milton Dickerman et le chargeur James G. Murphy poussèrent le Cobra King à toute allure, balayant la route avec des tirs jusqu’à ce qu’ils franchissent les lignes allemandes.
Le Cobra King avait déjà été éprouvé par la guerre. ‘’Il avait été mis hors de combat en France en novembre 1944, réparé et renvoyé au combat’’, a déclaré l’historien du musée de l’armée, Patrick R. Jennings.

Le même, a raconté que, lors de la libération de Bastogne, l’équipage du char, en approchant du périmètre d’encerclement, avait repéré des soldats au loin qui, à travers des jumelles, ressemblaient à des Américains. Mais les tankistes se méfiaient parce que des troupes allemandes infiltrées portaient des uniformes américains. Finalement un de ces hommes s’est dirigé vers le Cobra King, a grimpé sur le blindage et a dit à Boggess, sorti de sa tourelle :

« Heureux de vous voir. » (Reconstitution avec le Lt Boggess – 1984

La libération de Bastogne avait commencé !

Mais la guerre du Cobra King n’était pas terminée. Il a continué à pénétrer de plus en plus loin, en Allemagne, jusqu’à ce qu’il soit mis hors de combat le 27 mars 1945, lors d’un raid condamné d’avance ; celui ordonné par Patton pour délivrer son beau-frère, le lieutenant-colonel Waters, du camp de prisonniers de Hammelburg.
La mission a été un fiasco, et le char a été frappé par un obus qui a pénétré son blindage et a déclenché un incendie à l’intérieur. L’équipage, différent de celui de Bastogne, s’est échappé. Mais le char dut être abandonné.

C’est toutefois l’épisode de Bastogne qui en fit un vestige historique.

Après la guerre, le Cobra King a été retrouvé sur le champ de bataille et placé comme une sentinelle d’acier, en plein air sur plusieurs bases américaines en Allemagne.
Au fil des ans, les historiens et les officiers ont commencé à enquêter sur les histoires des chars américains qui étaient exposés dans toute l’Europe.
Un aumônier de l’Armée de terre, Keith Goode, avait montré un intérêt particulier pour ce char. Ses recherches l’avaient amené à soupçonner que le char anonyme, que l’on pouvait voir à Vilseck, en Allemagne, pourrait être le célèbre Cobra King. Il s’est avéré qu’il avait raison.

Un historien belge de Bastogne, Roger Marquet, avait fait une même enquête et était arrivé aux mêmes conclusions : c’était bien le Cobra King qui était exposé à Rose Barracks à Vilseck, en Bavière. Ce dernier avait commencé à prendre des contacts avec les Autorités belges pour leur suggérer de tenter de faire ‘’revenir’’ le char sur le lieu de ses exploits.
C’est alors que l’US Army Military History Institute de Carlisle Barracks en Pennsylvanie a eu vent de ses recherches. L’Institut eut vite fait de coiffer Marquet sur le poteau. Le COBRA KING a été expédié aux États-Unis en 2009 !

Jennings poursuit : ‘’L’extérieur a été restauré. (L’intérieur était trop gravement endommagé pour la restauration). Le char fut ensuite transporté par camion à Fort Benning, en Géorgie.
A 10h17, ce 3 août 2017, Allen Pinckney, directeur adjoint du musée, a annoncé à tous ceux réunis sur le chantier: « Le char Sherman est là! »
Un bulldozer, dont le cliquetis des chenilles suggérait le bruit d’un tank, a fait une pause dans son travail…Comme par respect !

Jennings plus tard est allé sur l’extérieur du char, puis a rampé en dessous et s’est levé à l’intérieur par la trappe d’évasion. À l’intérieur, c’était toujours le « bordel», a-t-il dit.
Mais le Cobra King, jadis taché de sang et encore marqué par la bataille, était de retour sur le piédestal de l’histoire.

Le Cobra King dans le nouveau musée – Photo Allis Chalmers