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Deux vétérans d’Eureka, Californie, se souviennent…

par Roger MARQUET

(article écrit en 1995)

Que sont devenus les G.I.’s après la Bataille du Saillant ?
Quelle a été leur vie ? A-t-elle été marquée durablement par la guerre ? Quels sont leurs sentiments à ce propos, cinquante ans plus tard ?
Deux Vétérans, pris au hasard parmi tant d’autres, se souviennent…

Eureka est une petite ville située dans le nord-ouest de la Californie, sur la Côte Pacifique près de la Baie de Humboldt.
Le jour de Noël 1994, un journal local, le Times-Standard a publié les souvenirs de deux G.I.’s qui ont participé, peu ou prou, à la Bataille des Ardennes…

Page PRATT, pendant la soirée du Réveillon de Noël 1944, il y a de cela juste 75ans, roulait, quelque part en Allemagne, prisonnier, dans un wagon de chemin de fer destiné au bétail. Tout à coup, un bombardement par les avions alliés arracha les hommes à leur torpeur; la porte du wagon voisin de celui occupé par PRATT fut arrachée et les soldats qui se trouvaient là se ruèrent à l’extérieur du train dans l’espoir de se mettre à l’abri. Ils ne réussirent qu’à se faire tuer un peu plus loin, par les bombes suivantes. Triste Réveillon, en vérité…!

Le jour de Noël 1944, PRATT le passa, avec d’autres prisonniers, allongé dans un wagon sombre et froid qui faisait route vers un camp allemand. En guise de repas de Noël, il partagea, avec quatre hommes, une ration de la Croix-Rouge française. Ils la mangèrent dans l’obscurité en ne sachant pas ce qu’ils avalaient. Pendant les huit jours du voyage, PRATT se gava de médicaments pour soigner sa pneumonie. Il faut dire que lorsqu’il fut capturé, Page PRATT, était sur un lit d’hôpital, au poste de soins de son bataillon, avec 39° de fièvre.

Pour l’anniversaire de ces évènements, les mémoires se rafraîchissent, les anciens soldats se souviennent.

Pour certains, la Bataille des Ardennes fut une épreuve qu’ils surmontèrent, qui les rendit plus forts, plus déterminés à réussir dans la vie. D’autres n’arrivèrent jamais à se débarrasser complètement des souvenirs obsédants de la souffrance qu’ils eurent à endurer et de la mort qu’ils virent autour d’eux.

Page PRATT serait plutôt du premier type. C’est maintenant [en 1995]un homme solide, encore très énergique à son âge. En dépit du froid, de la faim ,de la souffrance et du stress de l’enfermement qu’il eût à subir, il survécut et l’épreuve affermit son caractère. Il se sent cependant, et toujours actuellement, un peu coupable; coupable d’avoir été fait prisonnier et, ainsi, de n’avoir pas pu participer à toute la Bataille des Ardennes. Pourtant, avant cette bataille et encore après, il eut l’occasion de combattre et même de combattre très durement dans la Forêt de Hürtgen et dans la région de la Roer.

« Je me suis toujours demandé » dit-il, « si je n’aurais pas dû ficher le camp de ce poste de soins. Mais je ne l’ai pas fait. Voyez-vous, quand un major dit à un premier lieutenant ce qu’il doit faire, celui-ci n’a plus qu’à obéir ! Et, depuis, je l’ai toujours regretté; j’ai toujours regretté de ne pas avoir été avec mes hommes, à leurs côtés pendant la bagarre. Depuis la guerre, cette idée me poursuit. »
« Pourquoi je sens mal à ce propos ?  » ajoute-t-il. « Tout simplement parce que je pense que c’était mon devoir d’être là. Bien sûr, personne ne pouvait prévoir ce qui allait se passer et que la Bataille des Ardennes allait se déclencher le lendemain matin…Mais, quand même ! Pourquoi eux et pas moi ! « 

Par les conseils et les avis de l’Administration des Vétérans Américains, PRATT a appris qu’il souffrait en fait du « complexe de culpabilité du survivant ».

Comme on a pu le deviner, Page PRATT était chef de peloton (il devint plus tard commandant de compagnie adjoint) à la Compagnie A du 1 er Bataillon, 112 ème Régiment (Colonel Nelson), 28 ème Division d’Infanterie (Général Cota).

A leur arrivée sur le front de l’Our, vers la mi-novembre, les régiments de la 28ème étaient dans un état lamentable. La bataille de la Forêt de Hürtgen (zone de Schmidt) avait coûté au seul 112 ème plus de 2.000 pertes (tués, blessés, disparus, prisonniers, malades,…). Les effectifs avaient été complètés mais l’entraînement des nouvelles recrues laissait encore à désirer. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles, la 28 ème avait été envoyée dans ce secteur, considéré comme relativement calme, afin de s’y refaire une santé, de permettre aux hommes de se reposer et de se réorganiser. Le secteur tenu par la division allait du nord-ouest de Lützkampen  jusqu’aux environs de Kalborn. Deux bataillons de fusiliers se trouvaient à l’est de l’Our: le 1er  (celui de PRATT) faisait face à Lutzkampen et le 3 ème était à Sevenig.

Le 15 décembre 1944, Page PRATT se trouvait donc au poste de secours de son bataillon, un kilomètre derrière la ligne de front, à Ouren, où il était soigné pour une pneumonie.
Le lendemain, jour du début de l’offensive allemande, il était inscrit sur le rôle d’évacuation vers un hôpital de campagne. Mais, à 5.30 heures du matin, la Bataille du Saillant avait commencé.
« Ce fut une totale surprise » nous dit PRATT; « c’était une invasion massive sur un très large front alors que nous pensions qu’il ne s’agissait que d’une contre-offensive limitée ou un raid. Personne ne semblait prendre cela bien au sérieux. » Même le jour suivant se souvient-il, « le major nous dit: « vous resterez ici à cause de ce raid mais vous n’avez aucun souci à vous faire. »
Cela se passait dans la petite ville de Ouren, sur la rive allemande de l’Our, en face du Grand-Duché de Luxembourg.

« Dans la soirée du 16, on nous dit quand même de nous tenir prêts à toute éventualité », poursuit Page PRATT. « J’avais toujours une très forte fièvre. »

« Le lendemain 17 décembre, la situation était semblable et personne ne semblait trop s’en faire quand brusquement, dans le courant de l’après-midi, un feu effroyable de canons, de mortiers, de fusées hurlantes (screening meemies) s’abattit sur la petite ville. »

Les lignes téléphoniques ayant été coupées par le bombardement, c’est un messager qui vint prévenir que le poste de soins devait être évacué. Le major commandant le service médical donna l’ordre à l’estafette de retourner pour s’informer sur l’opportunité d’emmener les équipements et le matériel; cela aurait pris à peu près une heure pour emballer le tout. Juste au moment où cet homme sortait, trois parachutistes allemands pénétrèrent dans la pièce, mitraillettes pointées et « c’est ainsi que nous fûmes faits prisonniers » dit PRATT.                                                                      

Ouren Ph.Wikipédia

PRATT et les autres prisonniers furent forcés de marcher jusqu’au sommet d’une colline en portant des blessés, tant Américains qu’Allemands, ainsi que les corps sans vie de quelques soldats allemands. Tout le long du chemin parcouru, les nouveaux prisonniers purent voir des chars allemands, alignés, prêts à l’attaque.
Un soldat allemand qui parlait anglais leur dit : « si l’un d’entre vous tente de s’échapper, nous abattrons tous les autres.

Un peu plus tard, PRATT se souvient qu’on les aligna , dans la neige, la face tournée vers une étable. Page PRATT était juste à côté d’un major sur la gauche de l’étable. Il se souvient avoir dit au major: « si jamais ils commencent à tirer, ne restez pas dans mon chemin, car je fonce derrière le coin ». Fort heureusement, rien de tel n’arriva.

Les prisonniers passèrent la nuit dans cette étable sous le feu de leur propre artillerie. Après, ils durent marcher durant deux jours avant d’être embarqués dans des wagons et expédiés dans un camp de prisonniers de guerre, à Hammelburg, à l’est de Francfort.

Les trois mois qui suivirent, Page PRATT les passa donc à l’Offlag XIII B, en compagnie de 800 autres Américains et de 3.000 officiers yougoslaves. Au début, ils eurent quelques nouvelles de la Bataille des Ardennes, par la BBC qu’ils écoutaient sur une petite radio qu’un major avait réussi à dissimuler, mais cette radio fut bientôt découverte et confisquée et le moral des prisonniers s’en alla à vau-l’eau. A part le fait que des milliers de G.I.’s avaient été capturés, PRATT n’apprit l’importance de la Bataille des Ardennes qu’après la guerre. Ce moral déplorable perdura jusqu’au 8 mars, jour de l’arrivée d’un autre groupe de 400 prisonniers américains commandés par le Colonel Paul ‘Pop » Goode. En très peu de temps, Goode et son excellent chef d’état-major, le Lieutenant-Colonel John Knight Waters, ramenèrent le moral dans tout le camp.

C’est le 27 mars 1945 que se produisit un évènement assez extraordinaire, qui allait cependant rester secret pendant les quelques vingt années qui suivirent: la libération ou plus exactement la tentative de libération du camp de Hammelburg par un commando envoyé par le Général Patton.

Le jour avant, le Capitaine Baum, du 10 ème Bataillon d’Infanterie – 4 ème Division Blindée, reçut un ordre bizarre du chef du Combat Command B de la Division, le Lieutenant-Colonel Abrams : il devait constituer un commando de 300 hommes, s’infiltrer dans les lignes ennemies, foncer sur une distance de 100 kilomètres à travers le territoire ennemi jusqu’à Hammelburg, s’emparer du camp et revenir avec quelques 900 hommes ainsi libérés. Le Général Hoge, commandant la 4ème Blindée avait reçu cet ordre du Général Eddy, commandant le 12ème Corps qui l’avait lui-même reçu de Patton en personne. Pour justifier cette étrange mission, Patton affirma que: « c’était pour que le raid de libération d’un camp de prisonniers à Cabanatuan, dans les Philippines, par MacArthur, ait l’air d’être de la ‘gnognotte' ».

Si l’on sait que le Lieutenant-Colonel John Knight Waters, prisonnier à Hammelburg,  était le beau-frère du Général Patton, on comprendra mieux la raison de ce raid pour le moins audacieux.
Quoiqu’il en soit, le Capitaine Baum exécuta cet ordre, et, le 26 mars à 9.00 heures du soir, il franchit le Main aux environs d’Aschaffenburg pour foncer vers

Libération de Hammelburg (Photo UTG)

Hammelburg, une centaine de kilomètres derrière les lignes ennemies. Son commando était constitué de 307 hommes, 10 chars Sherman, 6 chars légers, 3 obusiers auto-tractés de 105, 27 half-tracks pour ramener les prisonniers, 7 jeeps et 1 véhicule amphibie-infirmerie. Contrairement à toute attente, il réussit la première partie de sa mission et, malgré une résistance importante des Allemands, il parvint, le 27 mars vers 15.30 heures au camp où se trouvait notre ami Page PRATT. C’est au retour que les choses se gâtèrent. D’abord, au lieu des 900 hommes que le commando Baum s’attendait à libérer, il y en avait 1.291, dont beaucoup (500 environ) n’étaient pas en état de faire le voyage. De plus, dans les combats pour libérer le camp, le Lieutenant-Colonel Waters avait été grièvement blessé; il était intransportable et le but réel de cette mission était d’ores et déjà manqué.Pour avoir quelques chances de succès, on décida de diviser les libérés en trois groupes: ceux qui devaient rester au camp à cause de leur état de santé, ceux qui voulaient se battre et être transportés dans les chars et les half-tracks et enfin, ceux qui voulaient tenter leur chance par leurs propres moyens. PRATT fut désigné pour accompagner un char, mais il n’eut pas la chance de passer. Son groupe se heurta à un « roadblock » allemand et il fut capturé à nouveau. PRATT fut renvoyé dans d’autres camps de prisonniers de guerre à Nuremberg et à Moosburg. Il fut finalement libéré à la fin avril 1945.

Le commando Baum fut pratiquement anéanti et l’opération échoua dans le feu et le sang.

Quelques jours plus tard, devant la presse qui avait eu vent de la chose, Patton se justifia en disant qu’il n’avait connu la présence du mari de sa soeur parmi les prisonniers d’Hammelburg qu’après l’opération et affirma que c’est parce qu’il avait des craintes que des prisonniers américains soient exécutés par les Allemands en retraite qu’il avait monté cette mission. Hoge et Abrams, en bons soldats disciplinés, gardèrent le silence sur cette affaire pendant vingt ans.

Parmi les prisonniers d’Hammelburg se trouvaient également le Lieutenant Alan Jones Jr., fils du Général commandant la 106 ème Division et le Lieutenant Alexander Bolling Jr., fils du commandant de la 84 ème Division,le Général Bolling.

Page PRATT n’apprit les motivations de sa tentative de libération que bien plus tard, en lisant quelques livres. C’est aussi de cette façon qu’il apprit tout sur la Bataille des Ardennes qu’il n’avait connue que pendant 24 heures.

Wes LANGHOLZ, lui, autre citoyen d’Eureka, ne connut pas le même sort que Page PRATT. Il reçut la Purple Heart pour une blessure au combat pendant la Bataille du Saillant. Il n’est actuellement pas toujours très sûr de la façon dont cela est arrivé. Il se souvient que le combat était particulièrement rude à ce moment. Il se trouvait dans une espèce de carrière et il pense qu’une balle a dû ricocher sur un rocher et l’a atteint au tibia.

A 81 ans [en 1997], LANGHOLZ éprouve de réelles difficultés à parler de la Bataille du Saillant, de même que de ses autres expériences guerrières d’ailleurs. Bien sûr, ses souvenirs se sont quelque peu estompés mais, surtout, il a vraiment beaucoup d’émotion à se remémorer tout cela. Se décrivant lui-même comme très émotif, Wes LANGHOLZ a des larmes qui perlent au coin des yeux lorsqu’il évoque ces tirs terribles dans la carrière dans laquelle les snipers les épinglaient littéralement. Il se souvient qu’il était allongé dans un repli de terrain et qu’il essayait de dénombrer ses hommes pour savoir combien vivaient encore. Il évoque aussi le souvenir d’un bombardement par des mortiers. Un obus est tombé directement sur le foxhole d’un de ses sergents: « Il survécut » dit Wes, « mais ses deux jambes étaient coupées. Horrible ! »

Wes LANGHOLZ était Premier Lieutenant au 3 ème Bataillon du 395ème Régiment d’Infanterie (Colonel Mackenzie) – 99 ème Division d’Infanterie (Général Lauer). Au début de la Bataille des Ardennes, il se trouvait avec son bataillon dans le secteur de Wahlerscheid (secteur nord du champ de bataille, près d’Elsenborn). Son régiment venait d’épauler la 2ème Division dans son offensive vers Wahlerscheid; offensive qu’il fallut bien se résoudre à avorter dès le 17 décembre à cause de la poussée allemande. Jusqu’au 17 décembre à midi, les choses ne furent pas trop dures pour LANGHOLZ et ses hommes. L’ordre fut alors donné de se replier sur Rocherath et d’attendre l’ennemi le long d’un périmètre à l’est de la petite ville. Les combats qui s’ensuivirent furent acharnés. « Nous ne nous attendions pas à une attaque de cette envergure » dit encore LANGHOLZ, « mais, une fois que les hommes furent installés dans ce périmètre défensif, ils firent un bon boulot (they did it O.K.). Des prisonniers allemands nous ont même dit que c’était la première résistance sérieuse qu’ils rencontraient ».

Ce n’est bien sûr qu’après la bataille que le Lieutenant LONGHOLZ apprit tous ces détails. La plupart du temps, il ne savait pas exactement où il était ni ce qui se passait. Il n’avait, entre autre, aucune idée sur l’ampleur de cette bataille. Un jour, lui et ses hommes reçurent un bulletin militaire avec des reportages sur les actions menées par les différentes unités mais il n’y avait évidemment aucune précision de lieu, ni de taille des forces en présence. « Nous nous demandions: mais qu’est-ce qui se passe réellement ici ? » dit Wes.

Son épouse, Marge, se souvient avoir lu des reportages sur la Bataille des Ardennes dans les journaux, mais, comme elle ne savait pas où son mari se trouvait., cela n’avait pas partculièrement attiré son attention…

Toute la correspondance était censurée et elle a reçu des lettres de Wes qui étaient toutes surchargées de rayures noires. « Tu écrivais régulièrement, et pourtant, je suis parfois restée deux ou trois semaines – et même un mois pendant la période du Saillant – sans avoir aucune nouvelle de toi. Peut-être n’avais-tu pas vraiment le temps d’écrire, à ce moment-là ? » demande Marge
« Probablement » répond Wes, « et pourtant, nous profitions au maximum de nos périodes de répit. On chantait, on buvait de la bière, on rigolait et on écrivait chez nous. Evidemment, ces périodes étaient très rares ».

Bien que beaucoup de G.I.’s aient souffert du froid, du manque de vêtements adéquats et aussi du manque de nourriture chaude, LANGHOLZ n’a pas ressenti ces choses de manière trop aigüe.
« La nourriture était fournie assez régulièrement » se souvient-il, « bien sûr, il est arrivé que les camions de ravitaillement soient bloqués par la neige mais cela n’est pas arrivé trop souvent. J’ai même reçu une fois des vêtements supplémentaires. Le froid n’était pas facile à supporter mais le corps se défendait par lui-même ».

Wes LANGHOLZ, contre l’avis de ses supérieurs, quitta l’armée en 1945. Il était très fier, et il l’est toujours, de son service militaire, mais il estimait en avoir fait assez.
« Je n’aime pas beaucoup parler de cela car je suis très émotif, mais je peux dire que cette Silver Star a une grande signification pour moi » dit encore l’ex-lieutenant.
LANGHOLZ a en effet reçu l’Etoile d’Argent (Silver Star), en mars 1945, après la Bataille du Saillant, pour son « courage au combat ».

Selon les documents officiels de l’Armée, « le Premier Lieutenant Wes LANGHOLZ observait méthodiquement le terrain pour y développer un assaut, malgré le feu nourri des armes automatiques et de l’artillerie. Pendant une attaque de l’ennemi, il fit trois trajets entre la position de repli et la zone de la bataille pour s’assurer que tous ses hommes s’étaient bien repliés en sécurité ».
Emotif, notre ami Wes ? Sûrement ! Mais indubitablement courageux!

Dès qu’il quitta l’armée, Wes s’efforça de ne plus penser à la guerre. Il revint à Eureka et ouvrit une bijouterie qui s’agrandit de plus en plus, notamment lorsqu’il prit un associé. Wes avait été chef d’orchestre avant la guerre. Il reprit ses activités musicales et fit partie de l’harmonie de Humboldt pendant 36 ans.

« Il s’est passé beaucoup de temps avant que nous ne parlâmes de son service militaire » nous dit Marge LANGHOLZ. « Et il s’est passé encore bien plus d’années avant qu’il n’évoquât la guerre. Nous mettions tout simplement ce sujet de côté ».

Au début, LONGHOLZ croyait n’avoir des souvenirs que très rarement, un peu comme des coups de flash,. Mais depuis qu’on l’a interviewé à ce sujet, il s’est rendu compte que la guerre avait pénétré son esprit d’une manière bien plus considérable que ce qu’il n’imaginait.

« Vous me demandez si j’y pense souvent ? En y réfléchissant…Bien sûr ! Mais je n’en dis rien! Je n’en parle pas: cela me donne trop d’émotions. »

La guerre a changé sa vie et surtout sa santé. Il lui en est resté un syndrome de stress post-traumatique qui se traduit par des ulcères à l’estomac et toutes sortes d’autres ennuis d’ordre digestif.
« Cela me fait mal de penser à tous ces jeunes gars qui sont partis à la guerre, en Bosnie, ou ailleurs et qui sont exposés à toute cette haine qu’il y a dans le monde ».

Contrairement à Wes LANGHOLZ, Page PRATT estime que la guerre l’a rendu plus fort.

« J’ai eu faim », dit-il « j’ai eu froid, j’ai été trempé, et j’ai décidé que je ne voulais plus connaître cela dans ma vie ». Avant de rejoindre l’Armée, PRATT ne savait pas quoi faire de sa vie. Quand il est revenu de la guerre, il a entamé une carrière dans l’industrie de l’alimentation. « Peut-être parce que j’ai eu si faim ! » ajoute-t-il, en riant. Bien qu’il soit arrivé très haut dans l’échelle sociale, Page estime qu’il aurait peut-être encore pu faire mieux. « Mais, comme j’ai été malmené par les Allemands « dit-il, « je n’ai plus accepté, après cela, d’être commandé par des gens que je ne respectais pas; j’ai donc parfois refusé « d’avaler des couleuvres » et cela m’a peut-être un peu freiné dans ma progression sociale ».

« J’ai appris que personne ne s’occupera de vous si vous ne vous en occupez pas vous-même; j’ai appris à travailler dur dans tout ce que j’entreprenais. Mais j’ai aussi appris que, quand des hommes veulent travailler ensemble pour assurer leur protection mutuelle, ils sont capables de grandes choses ».

Page PRATT est resté continuellement en contact avec cinq de ses amis prisonniers de guerre (Kriegies, comme on dit là-bas). Ils ne sont maintenant plus que trois à être encore en vie. L’autre jour, « conclut Page PRATT, « j’ai dit à un de ces amis: tu sais, Bill, je n’aurais pas voulu rater cette guerre pour rien au monde. C’était une guerre juste et il fallait absolument débarrasser le monde de la dictature de Hitler ».

Sources bibliographiques

  • BULGE: TWO REMEMBER DECEMBER BATTLE – Kelly Johnson in Times-Standard, Eureka,CA – 25 décembre 1994
  • THE ARDENNES: BATTLE OF THE BULGE – Hugh M.Cole – Office of the Chief of Military History United States Army – Washington, D.C.- 1965
  • LES CENT DERNIERS JOURS – John Toland –  Calmann-Lévy – 1967