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Discours de Frank-Walter Steinmeier, Président de la République Fédérale d’Allemagne, prononcé le 16 décembre 2019 au Mardasson, Bastogne, en présence de nombreux Chefs d’Etat, de Premiers Ministres, d’Ambassadeurs, de Ministres et de Hautes Autorités civiles et militaires.

Il y a 75 ans aujourd’hui, aux premières heures du 16 décembre, les horreurs de la guerre ont envahi l’Ardenne. Il y a 75 ans aujourd’hui, la Wehrmacht allemande a lancé l’une des dernières offensives de la Seconde Guerre mondiale, une bataille brutale dans une guerre perdue depuis longtemps.

Majesté, je vous remercie du fond du cœur, je vous remercie de l’invitation à vous rejoindre aujourd’hui en commémoration. Je me tiens devant vous et devant tous les Belges, humblement et avec reconnaissance dans mon rôle de président de la République fédérale d’Allemagne.

Je suis conscient que mon intervention ici aujourd’hui n’est pas quelque chose à prendre pour acquis. Ici à Bastogne. Ici en Belgique, qui a été envahie par les Allemands à deux reprises au siècle dernier.

Le publiciste germano-britannique Sebastian Haffner a qualifié l’offensive des Ardennes de « folle entreprise » d’un point de vue militaire. Elle a entraîné des souffrances, des destructions et des morts innombrables.

Nous, Allemands, connaissons la souffrance. Nous connaissons la douleur. Nous savons que beaucoup d’entre vous luttent encore avec elle aujourd’hui. Vos pères et grand-pères sont morts au combat ou ont été portés disparus. Vos mères et vos grands-mères ont dû endurer la famine et la destruction. Des civils sans défense ont été tués. La souffrance n’est pas quelque chose qui ne s’est produit que dans le passé. Cela continue d’affecter vos familles aujourd’hui. C’est pourquoi il est si important pour nous de nous souvenir – et pour nous de nous engager dans des actes communs de souvenirs et de commémoration.

Avec tristesse, je rends hommage aux victimes de toutes les nations. Ceux qui sont morts ont été victimes de la haine, de l’illusion et d’une fureur destructrice originaires de mon pays.
Pourtant, en ce jour, je suis également rempli d’un profond sentiment de gratitude. Votre pays, Majesté, nous a tendu la main – à travers les tombes de deux guerres mondiales. La Belgique nous a fait don de sa volonté de réconciliation. Vous nous avez ouvert la porte pour faire partie d’une Europe pacifique. Pour cela, nous, Allemands, sommes profondément reconnaissants.
Votre Altesse le Grand-Duc Henri, nous sommes également reconnaissants à votre pays, le Luxembourg, qui a tant souffert des conséquences de ces batailles et des années d’occupation. Vous aussi, vous êtes tendu la main vers la réconciliation.

C’est pour cette raison – et pour cette seule raison – que nous avons pu jeter ensemble les bases d’une Europe unie et pacifique. À cause de cela – et seulement à cause de cela – les anciens ennemis sont devenus de bons voisins. Plus que cela, ils sont devenus amis. Des amis qui entretiennent désormais des liens politiques, culturels, économiques et militaires étroits.
Ici en Belgique, le cœur de l’Europe bat. Ici en Belgique, l’esprit de l’Europe est vivant, ici l’idée de l’Europe est vivante, et ici elle se vit! Ici en Belgique l’esprit européen vit, ici l’idée européenne vit et ici elle se vit ! C’est une promesse pour nous et pour notre avenir.

En ce jour, nous, Allemands, voudrions également remercier les États-Unis d’Amérique. Les forces armées américaines – avec leurs alliés – ont libéré l’Europe, et elles ont également libéré l’Allemagne. Nous tenons à vous remercier, les anciens combattants, qui ont mis leur vie en jeu pour la cause de la libération. Nous restons profondément redevables à cette Amérique, qui a accompagné et soutenu la renaissance démocratique de l’Allemagne malgré la guerre et la Shoah.

Une Europe unie et pacifique est la leçon que nous, Européens, avons tirée de l’extrémisme nationaliste et raciste, de la guerre et de la destruction. N’oublions pas ça! Particulièrement en ces jours où l’attrait du nationalisme et de la pensée ethnocentrique augmente à nouveau.

Aujourd’hui, c’est nous qui, ensemble, portons la responsabilité de notre Europe unie. Pour l’Allemagne, qui a déclenché la dernière grande guerre sur le sol européen, il s’agit d’une responsabilité particulière et durable. Je veux dire à vous tous, Belges, Luxembourgeois, Polonais, Américains, Canadiens, Britanniques, Français et Néerlandais, dans mon rôle de président allemand: nous, Allemands, sommes conscients de notre responsabilité. Nous assumons cette responsabilité et nous la transmettrons.

Le fait qu’aujourd’hui nous nous engagions ensemble dans cet acte de commémoration me donne de l’espoir. Le chemin de la réconciliation nous donne de l’espoir.

Espérons qu’à l’avenir, notre continent continuera d’être uni dans la paix et la liberté.

Espérons qu’ensemble, nous pourrons lutter contre de nouvelles formes de ressentiment, de haine raciale et de nationalisme, dans l’intérêt de la démocratie et de la liberté.

J’espère que nous continuerons à poursuivre notre chemin commun. En bons voisins. Comme amis. En tant qu’Européens.

Je vous remercie.

Commentaires de l’association Ardennes – White Star – US Army.

Tout d’abord, je me permettrai de saluer le courage du Président Steinmeier pour avoir osé parler de la Seconde Guerre Mondiale avec humilité et en assumant la responsabilité première de son pays dans le conflit mondial devant un tel aréopage. Surtout que, ne l’oublions pas, sa génération  n’y est pour rien.

L’entièreté de son discours fait inévitablement penser à la maxime écrite par l’écrivain philosophe hispano-américain de langue anglaise, George Santayana qui a dit que :

« Celui qui ignore les leçons de l’histoire est condamné à les revivre ».

Cette phrase mériterait que l’on s’y arrête pour l’analyser si le Président Steinmeier ne l’avait pas fait pour nous.

Son discours est tellement bien bâti qu’il emmène les auditeurs à la rencontre de la maxime évoquée ci-dessus, ou en tous cas vers l’idée qu’elle véhicule.

Bien sûr, tout le monde n’est pas obligé d’apprécier ce discours, ni d’adhérer aux valeurs d’union qu’il distille. C’est peut-être une question de génération ; ceux qui ont connu la guerre dans leur corps, c’est-à-dire ceux qui étaient adultes pendant la dernière guerre, auront peut-être des difficultés à accepter la main tendue par l’ennemi d’hier.

Ce serait dommage, au regard de l’Histoire, mais on peut comprendre.

C’est pourquoi je vous invite à vous livrer, comme je viens de le faire, à une analyse personnelle de ce speech et à en tirer vos propres conséquences.

Dans ce cas, le discours qui prône le devoir et même le travail de mémoire et de résilience aurait, me semble-t-il, atteint son but.

Une dernière chose qui m’a fait apprécier ce texte, est le fait qu’il fait allusion aux conséquences néfastes d’une guerre dans une famille, même bien longtemps après la perte d’un être cher. Cette influence néfaste saute les générations successives et obère l’éducation des descendants. Pour être dans le cas, je le sais.

Frank-Walter Steinmeier, douzième Président de la RFA depuis 2017, est un grand homme d’Etat très apprécié et respecté tant dans les cercles internationaux (Union Européenne, Alliance Atlantique, Nations Unies …) que par les différentes composantes politiques de son pays à l’exception du nouveau parti néo-nazi (AfD -Alternative für Deutschland).

Dans les semaines qui suivent sa désignation, il promet de maintenir le pays uni autour de ses valeurs fédérales et dit sa détermination à ne pas succomber « sans limite à la simplification », qui favoriserait selon lui la montée des populismes en Allemagne comme en Europe. Il montre d’emblée et avec fermeté son hostilité aux projets et ambitions politiques des élus de l’AfD.

Dans son discours, le Président allemand reconnaît courageusement et avec humilité  la responsabilité entière et sans équivoque des deux dictatures allemandes qui ont meurtri notre pays et l’Europe à deux reprises en 14-18 et 40-45. Il parle de fureur destructive, mais il n’ignore pas les soldats parfois très jeunes engagés dans une bataille dont l’enjeu, souvent, les dépassait.

Nous, Belges, pouvons être fiers d’entendre le Chef de l’Etat allemand dire avec conviction, à l’occasion du 75ème Anniversaire de la Bataille des Ardennes, sur un lieu hautement symbolique qu’est le Mardasson Mémorial sa profonde gratitude à l’égard de notre pays : « la Belgique nous a fait don de sa volonté de réconciliation ».

Le Président Steinmeier souligne également le rôle de la Belgique et des Etats-Unis qui ont contribué étroitement à permettre à l’Allemagne redevenue démocratique de figurer parmi les six membres fondateurs d’une Union Européenne pacifique.

La commémoration du 75ème est pour lui un important rappel du devoir de mémoire à l’égard des générations futures mais également un signe d’espoir pour que notre Europe reste unie à jamais dans la paix et la liberté. Et c’est dans la Nuts City que le Président allemand l’a affirmé au monde entier !