Par Philippe KRINGS
Présenté par Roger Marquet
Le meilleur moyen de connaître l’histoire dramatique de Philippe Krings était de lui donner la parole. C’est ce que je lui ai suggéré. Il a accepté et m’a confié une copie d’un résumé d’une de ses nombreuses correspondances sur le sujet.
À mon tour, je vous mets au courant en lui cédant la parole, … ou plutôt le clavier.
À toi, Philippe !
Mon Cher Roger,
J’ai retrouvé une petite partie de la relation de mes « aventures » en 1944.
Je n’ai pas retrouvé tout ce que je cherchais. Plusieurs fois les larmes sont réapparues, toujours meurtri ! … et je suis contraint de me limiter, pour t’envoyer une lettre au hasard de centaines d’autres notamment aux USA ! Y compris au Présidant Obama que j’admirais aussi…
Il m‘est très difficile de revivre cela !!! Tu coupes, tu haches, tu n’utilises pas ce texte, ce choix est le TIEN ! Définitivement…
Peut-être comprendras-tu ma haine exprimée il y a un an ou deux … ???
Amicalement,
Philippe
Cette lettre à un CORBEAU INCONNNU !
Cher Monsieur Corbeau (un homonyme parisien, connu lors de mes recherches),
Ne vous étonnez pas de recevoir cette lettre d’un inconnu, et de Belgique de surcroît.
Depuis plus de septante cinq ans, votre nom de famille hante mon esprit, mes cauchemars et mes rêves. J’espère que vous aurez la patience et la bienveillance de lire ce courrier, dans lequel je mets tant d’espoir.
Voici l’histoire qui motive mon intervention auprès de vous :
En décembre 1944, je vivais avec ma mère et mon frère à Malmedy, petite ville belge, mais à l’époque annexée par les nazis (III. REICH). Depuis septembre 1944, la ville était déjà libérée par l’Armée US et nous revivions plus paisiblement.
Lorsque le 16 décembre 1944 débuta la Bataille des Ardennes, que vous appelez
« The Battle of the Bulge ». L’assaut allemand débuta à 15 kilomètres de Malmedy, et les troupes américaines refluèrent vers la ville, qui fut presque encerclée.
Maman – [Papa est mort du typhus en 1943 suite au refus de soin de l’officier-médecin allemand de garde] – a eu l’occasion alors d’héberger dans notre domicile une douzaine de G.I. parmi lesquels se trouvait le Staff / Sergent Joseph CORBEAU.
Joseph H. CORBEAU était Staff-Sergeant, Service Number 31217879, born on May 29, 1913 Cumberland. He died on June 19,01.1994 to Bryan, Williams, Ohio. Soc. Sec. Number 004-05-7299
(Ces G.I. fuyaient probablement depuis Losheim, l’avance fracassante des Waffen S.S. du Kampfgruppe PEIPER (qui se rendront tristement célèbres par l’assassinat de 84 G.I. à Baugnez-lez-Malmedy).
Si nous leur procurions à Malmedy, un toit, un réconfort familial, des draps de lits cousus en forme pour leur camouflage, l’entretien de leurs vêtements, et un peu de chaleur (notamment par la mise à feu des débris de nos meubles), ces braves nous apportèrent la protection de leur jeunesse, leur générosité indescriptible, et de leur moral inaltérable malgré l’état d’une situation militaire désespérée, une consolidation de nos caves, et … des rations K, un peu de chocolat et de nescafé… et du reste … nécessaire ! Tous les jours matin, ils partaient en files et ne revenaient que le soir, harassés, trempés et gelés ; ils ont créé une ambiance très rassurante pour nous, les deux jeunes enfants qui étions leur mascotte.
Le 23 décembre 1944, la ville fut bombardée et l’on dénombra de très nombreux morts et blessés, américains et civils. Une bombe tomba dix mètres devant notre maison, et une seconde 30 mètres à l’arrière. Portes et fenêtres étaient détruites, mais nous étions tous saufs.
Comme, il n’y avait plus moyen de nous chauffer, en raison de ces dégâts, Maman nous envoya, mon frère et moi, chez notre grand-mère à cent mètres de là, dans une maison qui hébergeait déjà dans ses caves une dizaine d’autres personnes.
Le 24 décembre 1944, à 14:30 heures, un nouveau raid aérien pris la ville pour cible: les trois-quarts de la ville furent détruits ou incendiés.
L’immeuble où nous étions abrités fut touché par un coup direct. Les deux étages s’écroulèrent sur la cave où nous étions rassemblés.
Joseph CORBEAU et ses camarades, alertés par ma mère, arrivèrent immédiatement, et devant l’ampleur des dégâts, obtinrent l’aide d’un bulldozer du 291st Engr Bn, (Colonel Pergrin) puis à la main ils fouillèrent les décombres à notre recherche. Sept ou huit rescapés plus ou moins indemnes, trois blessés graves, dont moi-même et un cas désespéré, mon pauvre frère de trois ans, dont le crâne fut écrasé par le pied d’une gazinière de la cuisine du rez-de-chaussée, furent dégagés.
Immédiatement Joseph CORBEAU réquisitionna une Jeep, et accompagné d’un de ses compagnons d’armes, nous conduisit, Maman, mon frère et moi à Spa où se trouvait un important hôpital militaire américain qui nous prit en charge ; je précise que ce trajet Malmédy-Spa (30 kilomètres) s’est fait à travers les lignes allemandes, dont les parachutistes de Van der Heyde occupaient les environs et le Plateau des Hautes Fagnes.
Malheureusement mon frère ne survécut pas à ses blessures malgré les soins dévoués de nos bons samaritains.
Pendant plus de cinquante ans, des cauchemars horribles peuplèrent mes nuits, jusqu’à ce que j’en trouve la clé, et que me revint à la mémoire ce Joseph CORBEAU dont j’ai retenu le nom car il m’avait offert à cette époque un casque (under-helmet) où étaient peint en lettres rouge-vif son nom que je vénère aujourd’hui encore : Joseph CORBEAU
Je voudrais maintenant, après tant d’années, détailler à mes enfants, à mes petits-enfants et à mes jeunes concitoyens qui vivent dans l’abondance, que la vie n’a pas toujours été comme cela, et que sans le courage de jeunes américains, leurs existences, et la mienne auraient été très différentes.
Peut-être serai-je mort sous les décombres, comme plus de 500 autres victimes des trois bombardements successifs de Malmedy par des Marauder de l’US AIR FORCE (il y en a eu encore un le lendemain 25 décembre 1944 !)
A cette horreur, aux cris de désespoir des parents découvrant leurs deuils, répandus dans toute la ville détruite, sans eau ni électricité, s’ajoutait celle de la peur communicative d’une incursion des troupes SS de Skorzeny et de Peiper qui se trouvaient à 4 miles de la ville.
Heureusement, le 291st Engr du Colonel Pergrin et ceux de la 30th Infantry Division stoppèrent net cette incursion. Le 5 janvier 1945 nous étions définitivement libérés de l’encerclement.
Voilà le résumé de ma vie à cette époque. Cet événement m’a terriblement marqué, jusqu’à ce jour. Pas un jour ne se passe sans que le nom de Joseph CORBEAU me traverse l’esprit.
J’aurais souhaité que vous m’aidiez à rappeler aux jeunes de notre époque que des courageux nous ont aidé généreusement, au péril de leur vie, et parmi eux, Joseph H. CORBEAU, votre parent. Mais j’aurais aimé aussi que vous m’aidiez à calmer mes angoisses qui ne me quittent plus depuis ce jour pénible.
Je sollicite votre aide, je vous prie instamment de m’aider à avoir, notamment, accès au dossier militaire de mon héros, accessible uniquement à des parents.
Je ne connais rien des unités (divisions, régiments, bataillons,) dans lesquelles ils combattaient ; j’ignore le nom de ses compagnons. Vous seul, me semble-t-il, pouvez m’aider.
Mon seul but, croyez-moi, s’il vous plait, est d’honorer sa mémoire et celles de ses compagnons. Vive l‘US ARMY !
Avec l’indicible espoir que vous comprendrez ma démarche, et avec toute ma sympathie, je vous prie de croire déjà en ma reconnaissance.
22-03-2008
Lors de l’offensive des Ardennes, la ville de Malmedy a été bombardée, par les avions alliés, soi-disant par erreur (?) à trois reprises (23, 24 et 25 décembre 1944).
La population civile et les troupes US ont subi de lourdes pertes et la ville a été considérablement ruinée.
Pour la population le chiffre de 200 morts est avancé.
Pour les troupes américaines (la 30e Division d’Infanterie) le chiffre de 40 morts est souvent cité.
Pour ma part, je pense que ce chiffre de 40 pourrait-être multiplié par 5.
Le centre de Malmedy – (Photo Ardenne Web)
Quelle horrible chose que la guerre !
Amicalement,
Philippe Krings