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Par Christian de Marcken, Massachusetts, USA

Traduction : Roger Marquet

Dessin de Myriam P. Husmann

Cette carte est l’œuvre de ma fille, Myriam P. Husmann. Elle représente le V-1 ; et cela me rappelle des souvenirs datant du 24 décembre 1944, alors que je vivais en Belgique, dans le Brabant wallon.

Permettez-moi de vous les conter.

Le 24 décembre 1944, à 18 h 30, l’heure et le jour restent précis dans ma mémoire. Le front de la Bataille des Ardennes approchait. Les Britanniques avaient creusé des fosses sous leurs canons d’artillerie anti-aérienne (canons de 3,5 pouces) pour les transformer en canons antichars. Nous avions environ soixante soldats britanniques à la maison à tout moment.

[NDT : Christian de Marcken de Merken, de son nom complet, citoyen américain adolescent, habitait, en résidence surveillée pendant l’Occupation, avec ses huit frères et sœurs, sa maman et son papa, rentré des camps de concentration allemands, le château de L’Etoile à Bierges, dans le Brabant wallon (le château est aujourd’hui détruit) ].                                                                                                                                        

Ils utilisaient leurs canons 24 heures sur 24, et les hommes étaient répartis en deux équipes, de sorte qu’ils étaient dans la boue et le froid, de 7 h à 19 h pour le premier quart et de 19 h à 7 h pour le deuxième. Ceux qui n’étaient pas de quart se reposaient et se restauraient dans notre maison. Le château que nous habitions était entouré d’un grand parc dans lequel les Britanniques avaient installé une batterie d’artillerie. Ils utilisaient notre habitation comme cantonnement. Alors qu’il faisait déjà nuit noire à peine une heure après le souper, en cette veille de Noël, nous avons entendu le son distinct d’un V-1 qui semblait se diriger vers notre maison. La bombe volante était beaucoup plus bruyante que toutes celles que nous avions entendues auparavant. Nous avons supposé que, en raison du temps très froid et humide, les ailes de la bombe devaient être couvertes de glace ; ce qui expliquait ce bruit plus fort.

Les soldats britanniques criaient: «Collez-vous contre les murs! Couchez-vous le long des murs!  » L’armée a été formée pour réagir aux urgences de manière adéquate afin de sauver des vies. Nous étions bien sûr une bande d’enfants un peu sauvages, trop inexpérimentés pour savoir quand se mettre à l’abri. Pour mieux voir ce qui pourrait arriver, mon frère Louis, a sauté sur le très grand rebord de la fenêtre et a pressé son nez contre la vitre, qui était plus grande qu’un homme ordinaire.

Pendant ce temps, je traversai le hall principal et je sortis, suivi par un autre frère, Pete, pour mieux voir le monstre qui passait. Nous avons vu l’appareil voler juste au-dessus de nos têtes. Le V-1 n’était pas à  plus de 20 m au-dessus du toit, rasant le sommet de nos grands arbres. Le bruit était énorme. Il était environ 19 heures et il faisait noir. On pouvait clairement voir les flammes sortir du moteur par un tube à l’arrière qui ressemblait à un tuyau de poêle.

Il toucha les branches d’un grand arbre près du château et piqua sur la vallée peu profonde qui suivait. Quelques secondes plus tard, le V-1 a explosé sur trois petites maisons à la lisière de nos bois ; maisons occupées notamment par des gardes-chasse. Ces maisons n’étaient pas à plus d’un kilomètre de chez nous et pas trop loin des batteries britanniques. Il ne restait plus rien des trois petites maisons sauf un énorme cratère. Je crois que les autorités de la commune n’ont jamais retrouvé les occupants. Malheureusement, tous les gardes-chasse et leurs familles avaient été tués.

L’explosion fut incroyable, elle a vraiment secoué toute la région. Pete et moi avons couru vers la maison, où les soldats britanniques étaient toujours allongés à plat sur le sol, le long des murs. Louis était toujours debout devant la fenêtre. Il était blanc comme un linge, la tête et les épaules recouvertes de verre brisé, et le vent froid et humide soufflait à travers les fenêtres, maintenant dépourvues de verre. Miracle ! Louis s’en était sorti sans une égratignure. Encore une fois, nous avions eu de la chance. La déflagration n’avait brisé que les fenêtres à l’arrière de la maison. À l’époque, nous pensions que c’était amusant, uniquement parce que nous ne savions pas que nos voisins avaient été tués.
Ce fut un réveillon de Noël que je n’ai jamais oublié !

LE V-1

La force de propulsion de l’engin était du type à pulsations, sans partie mobile. Il lui fallait de l’oxygène pour fonctionner correctement. L’air comprimé qui entrait par l’avant du tuyau était aspergé d’essence avant de s’enflammer lorsque les orifices de ventilation avant étaient fermés. L’explosion créait une force puissante qui variait en fonction de la vitesse de vol.
Le V-1, également appelé ‘’ Robot’’ par les Belges, était lancé à l’origine par un avion porteur, puis, plus tard,  posé sur un traîneau équipé d’une catapulte à roquettes. Le traîneau était placé sur une rampe inclinée. Une petite hélice de comptage située au nez du V-1 comptait la distance parcourue. Lorsque le carburant était épuisé, les ailes étaient larguées du corps du  V-1. Les 150 kg d’explosifs situés dans le fuselage basculaient sur l’avant du V-1, qui tombait alors vers son objectif aléatoire.

Comme vous pouvez le deviner, il s’agissait d’une arme très imprécise qui pouvait détruire tout un pâté de maisons. C’était extrêmement bruyant.    C.de M.

NDT. On oublie souvent que l’offensive allemande en Ardenne a été appuyée par une large recrudescence des attaques par V-1 et V-2, particulièrement sur Liège qui abritait d’immenses dépôts américains d’approvisionnements de toutes sortes (munitions, carburants, vivres, matériel,…). On doit donc  mettre au bilan de la Bataille des Ardennes, les pertes humaines et les maisons détruites par 1827 V-1 ou V-2 (3346 tués) sur la ville de Liège et sa banlieue, et 1567 impacts (4380 tués) sur Anvers et sa périphérie, entre le 16 décembre 1944 et le 28 janvier 1945. (Ces chiffres sont sujets à caution).

Ruines à Liège – ©ALAMY