+ 32 497 720327 pscd6035@skynet.be

Paliseul, le samedi 20 janvier 1945

Bien cher frère,

Je commence aussi par te souhaiter une bonne, sainte et heureuse année… qui nous donnera – espérons-le – la paix dans la justice et la charité. En attendant cette heureuse paix, je demande au Seigneur de te protéger ainsi que notre chère famille.

Faut-il te dire ma joie d’avoir enfin de tes nouvelles ? Je me trouvais hier après-midi à l’hôtel de ville pour m’occuper d’une distribution de vêtements aux réfugiés, lorsque M. l’abbé Zéler est entré pour consulter la liste des réfugiés. Il n’a pas trouvé ses parents à Bertrix. Il m’a remis la lettre et m’a parlé quelques instants de votre séjour à Beauplateau . Deo Gratias ! Vous avez passé de bien mauvais jours, mais vous en êtes sortis vivants. Pour nous, c’est la même chose. Nous sommes restés à Bastogne jusqu’au 2 janvier, vivant dans l’abri (corridor rouge). Nous avons eu de la chance de ne pas revoir les Allemands… Mais nous l’avons payé cher… Pendant quinze jours (à partir du mercredi surtout) les obus n’ont pas cessé de pleuvoir, les nuits ont été agitées (les bombardements allemands et combats d’avions) etc. etc. Notre chère Sœur Supérieure a été tuée par un éclat d’obus le mercredi 20 à midi et une autre sœur a été blessée. Elles se trouvaient pourtant à l’abri de la communauté, mais le soupirail n’était pas bouché. C’est par cette ouverture que l’éclat est entré . Monsieur l’abbé Fécherolle était dans l’abri avec nous ainsi que M. l’abbé Ciglia (il nous a quittées vers la fin décembre pour retourner à Arlon avec une ambulance). Monsieur le Supérieur y est venu très souvent également. M. l’abbé Ciglia m’a fait part de ta sortie du séminaire le mercredi matin. J’ai bien pensé que tu n’avais pu m’avertir et tu as très bien fait… Je ne pouvais quand même pas quitter les élèves.

Nous avons reçu l’ordre de partir afin de permettre aux élèves de regagner leur foyer. Elles sont toutes allées à Arlon avec les Sœurs (8 sont restées pour garder la maison), tandis que les demoiselles (assez grandes pour se débrouiller) ont pris la direction de Bertrix. Nous sommes venues échouer à Paliseul… Toutes mes collègues sont parties déjà. Je suis placée chez un boucher, je m’y plais très très bien. Je puis dire qu’il ne me manque absolument rien ! Les autres étaient aussi chez des particuliers.

Si tu te trouves à Ochamps, je pourrai aller te voir sous peu (c’est à 10km environ d’ici) d’autant plus que Melle de Harvan (de la Croix Rouge) s’y rend assez souvent en auto. Peut-être aurais-je la faveur de l’accompagner une fois !

Le vélo était encore à Bastogne quand je suis allée pour le reprendre (vers le 27-28). J’avais demandé au garagiste de bien vouloir y veiller et très aimablement il avait accepté. Depuis lors, bombes, obus… pillages… Je crois bien aussi qu’il ne faut plus y penser.

J’ai écrit à Maboge par un gendarme qui retournait à Champlon. Je suis bien inquiète à leur sujet ; toutefois je garde confiance. Joseph, Clément et Henri auront dû fuir l’arrivée des All. Sans doute ? … Enfin, que le bon Dieu les garde tous en vie ! Union dans la prière.

Bon courage, cher Jean. A bientôt peut être.

Alice

Maboge, mercredi 31 janvier 1945

Bien cher Jean,

J’ai hâte de te faire savoir que toute la famille est en vie, ainsi que les habitants du village. Des obus ont fait q.q. dégâts dans les façades (c’est minimes comme effet) ; le presbytère est seul inhabitable et Monsieur le curé est chez nous. Mademoiselle a été pillée de fond en comble par les All. et les Américains. Elle est aussi chez nous. Les Allemands sont arrivés à Maboge le mardi matin 19 et ont quitté le village le 12 janvier au soir. Les Américains sont arrivés le lendemain à 2h de l’après-midi.

Tout s’est bien passé ; grâces à Dieu. Joseph, Clément et Henri ont été pris par les All. pour déblayer les routes avec 12 autres jeunes gens du village (je ne sais pas encore exactement qui – Louis était du nombre aussi). Ils sont parvenus à s’enfuir en usant d’un stratagème. Un jour au matin, ils sont redescendus Bérismenil (franc-battant !) et les sentinelles allemandes les ont cru autorisés à retourner. Ils se sont éclipsés dans les bois et y ont vécu deux nuits et un jour (jusqu’à la libération de Maboge). Henri a gagné un gros rhume dont il se remet tout doucement. Les jeunes gens n’ont pas eu le temps de fuir, car les Mabogeois ont été surpris par l’arrivée des All.

La famille Paul de Bérismenil est en bonne santé aussi. Victor Colla a été tué par un éclat d’obus.

Monsieur le curé de Samrée est venu à Maboge comme réfugié du 28 au 14 avec bon nombre de ses paroissiens. Il y avait à Maboge des réfugiés de La Roche, Devantave, etc. Avec cela, de la troupe allemande partout !

Je suis revenue de Bastogne à Savy avec ton vélo (sans pneu à la roue devant) le lundi matin. Nos cousines (toujours les mêmes !) n’ont pas voulu me laisser partir ce jour pour Maboge. J’ai quitté hier matin donc à pied en ramenant ton vélo. J’ai voulu le sauver car il était exposé au vol, vu que la porte du garage était entièrement ouverte.

Nos parents ont été heureux d’apprendre que tu étais encore en vie. On t’attend pour le plus tôt possible. On attend ma lettre. Sois bien rassuré. Tout va bien. Bon courage !

Union dans la prière reconnaissante

Alice