Texte reçu par Paul Van Daele, revu et adapté par Roger Marquet.
À l’occasion des commémorations du 75ème Anniversaire de la Bataille des Ardennes (ou Offensive Von Rundstedt), de vieux souvenirs refont surface et envahissent mon esprit.
Dans le cours de l’après-midi du mercredi 20 décembre 44, ma mère et moi, en compagnie d’autres personnes civiles, quittons Bastogne par la route de Neufchâteau et en passant par Assenois, nous nous dirigeons vers Remoiville, petit village de la région.
Nous sommes accueillis par ma tante, institutrice au village et nous sommes redirigés, pour y être hébergés, vers la ferme Dufour.
Le lendemain, jeudi 21 décembre, j’aperçois dans les champs d’en face, une file de soldats allemands qui se dirigent droit vers la ferme. À peine arrivés, ils réclament nourriture, boissons et logement.
Je resterai cinq jours en leur compagnie. Ils sont corrects ; peut-être parce que la bataille se rapproche. La ligne de Front se situe à hauteur de Bercheux et les soldats vont et viennent vers et depuis ce Front (1).
Nous passerons la veillée de Noël dans les caves voutées de la ferme, en compagnie des Allemands. Pour ma part, je me suis installé sur le tas de pommes de terre, juste à côté de l’un d’entre-deux.
Sur un tonneau, une petite crèche a été construite et une bougie éclaire la veillée.
Soudain, d’un harmonica, jaillit l’hymne apaisant de Noël : ‘’Stille Nacht, heilige Nacht’’ que fredonne un soldat.
Dans la nuit, au dehors, le bruit des armes automatiques se fait entendre. Je regarde avec angoisse le soupirail et la buse du poêle… Une grenade et ce serait la catastrophe ! (2)
Aux fenêtres, des draps blancs demandent la reddition.
Des G.I. font tout à coup irruption dans la cour et les soldats allemands sortent un à un des caves en déposant leur arme à terre et en plaçant les mains sur la tête.
Nous sommes libérés pour la deuxième fois.
Nous sommes évacués vers le haut du village. Nous partons accompagnés par le crépitement des ardoises des toits qui brûlent.
Le défilé presqu’incessant des chars de Patton (3) accompagnés de son infanterie traversent le village enneigé sur des routes verglacées.
Je demande à un tankiste : now ?
Il me répond d’un seul mot : Bastogne !
Avec le fils de la ferme, j’évacue le corps décapité (par un obus) d’un soldat allemand depuis la maison d’en face qui brûle.
Quelques jours plus tard, la maison de ma tante prend feu de manière accidentelle et le fils de la maison périt dans les flammes. Triste épisode !
Durant les premiers mois de l’année 1945, je resterai à la ferme pour y travailler comme valet de ferme, accomplissant toutes les tâches saisonnières. Tous les samedis, à pied, je retournais auprès de ma mère, à Bastogne et les lundis, toujours à pied, je rentrais à la ferme de Remoiville.
Voilà mon témoignage (4), celui d’un gamin de quinze ans qui en a nonante maintenant, mais toujours excellente mémoire.
Comment oublier de telles images ? De tels moments ?
Ces quelques détails contribueront, je le souhaite, à affiner la grande Histoire.
Jacques Housiaux
Ixelles
(1) probablement des paras de la 5.Fällschirmjäger Division = 5ème Division de Parachutistes (allemande) composée et complétée par des soldats qui n’ont jamais sauté en parachute.
(2) arrivée de la 4th Armored Division = 4ème Division Blindée (américaine). Chaque division blindée américaine comprenait une unité de fantassins.
(3) très probablement des tankistes de la 4th Armored Division.
(4) écrit en octobre 2019.
Extrait de la correspondance reçue par Paul Van Daele